Analyse

Tunisie: La répression contre les contrebandiers est "un coup d'épée dans l’eau" (expert)

Self Eddine Trabelsi  | 14.07.2017 - Mıse À Jour : 15.07.2017
Tunisie: La répression contre les contrebandiers est "un coup d'épée dans l’eau" (expert)

Tunis

AA/Tunis/ Seif Eddine Trabelsi

Le gouvernement tunisien a lancé, depuis quelques semaines, une vague d’arrestations contre nombre d’oligarques de la contrebande transfrontalière. Une offensive qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la corruption, selon le gouvernement.

Même si ces arrestations ont globalement été saluées par la majorité des partis politiques et bien reçues par l'opinion publique, leur efficacité dans l’endiguement de la contrebande reste encore à prouver.

Pour Lotfi Ayadi, ex-haut cadre de la douane tunisienne et actuel consultant auprès de la Banque mondiale sur le commerce transfrontalier, interrogé par Anadolu, "Ces arrestations n’ont aucun effet sur la limitation de la contrebande". Au contraire, "ils pourraient même l’amplifier", soutient-il, estimant que " l’endiguement du commerce parallèle passe avant tout par son intégration dans l’économie officielle et non par la répression".

Pour l’expert du commerce transfrontalier, il faut avant tout saisir les raisons de la prospérité de la contrebande pour pouvoir y répondre.

Il cite deux raisons principales, la différence des prix entre les pays voisins et les interdictions et obstacles à l’importation mis par les Etats.

Concernant la différence des prix, dit-il, cela s’explique par les disparités des niveaux de taxation à l’importation et les subventions de certains produits destinés à la consommation comme c’est le cas des produits pétroliers subventionnés en Libye et en Algérie, et qui coûtent beaucoup moins cher qu’en Tunisie.

Pour ce qui est des obstacles à l’importation, l’ex douanier énumère plusieurs raisons; en l'occurrence, "les prohibitions de certains produits comme la contrefaçon, dont la demande est toujours présente malgré l’interdiction."

"Il y a également les contrôles techniques non justifiés, c’est-à-dire les excès de contrôles qui ralentissement les délais de dédouanement et a fortiori la distribution des marchandises, ce qui est parfois fatal pour certains produits qui pourrissent sur les quais des ports, faute de délai de dédouanement", poursuit-il.

L'expert estime aussi que "les normes prohibitives rendent l’obtention des homologations extrêmement compliquée, ce qui pousse certains commerçants à se diriger vers le marché parallèle, c’est le cas des produits électroniques par exemple".

En tête des produits échangés sur le commerce parallèle, nous trouvons les produits fortement taxés en Tunisie et peu taxés dans les pays voisins comme le tabac, dont le volume des échanges est estimé à plus de 1000 millions de dinars tunisiens (409 millions de dollars), ce qui cause une perte de recette fiscale pour l’Etat estimé à 500 millions de dinars (203 millions de dollars) selon une étude réalisée par le think tank "Joussour",en 2016.

On trouve également des produits comme les carburants dont le volume des échanges est estimé à 1000 millions de dinars (409 millions de dollars) selon la même étude.

Il y a aussi les chaussures, les pneus, l’électroménagers et les appareils électroniques dont le volume des échanges globaux est estimé à 5000 millions de dinars (2035 millions de dollars), ce qui porte le volume total du commerce parallèle à 6000 millions de dinars tunisiens (2441 millions de dollars) et provoque une perte totale de recettes fiscales pour l’Etat estimé à 2000 millions de dinars (813 millions de dollars) selon Joussour.

Si l’on prend l’exemple du tabac, selon une étude réalisée par la Banque mondiale en 2013, sur environ 1000 millions de paquets de cigarettes fumées en Tunisie, 466 millions sont issus du marché national, 156 millions sont issus de l’importation légale et 380 millions sont issus du marché parallèle.


Autrement dit, plus d’un tiers des cigarettes sur le marché tunisien sont issues du marché parallèle et proviennent essentiellement des pays voisins où le tabac est moins taxé qu'en Tunisie.

Quant aux techniques d’introduction de la marchandise par les contrebandiers, le spécialiste du commerce transfrontalier en note plusieurs.

"Il y’a ceux qui font rentrer la marchandise par la force en refusant de se soumettre aux forces de l’ordre ou aux douaniers, il y’a ceux qui cachent les marchandises dans les camions, le passage par les pistes non contrôlées, les fausses déclarations qui consistent à faire rentrer une marchandise dans des conteneurs et en déclarer une autre qui soit moins taxée, ou encore le fait de déclarer un volume inférieur au volume réellement importé", énumère-t-il.

"Et il y’a bien évidemment la corruption, malheureusement encore présente", ajoute-t-il.

Alors que l’économie parallèle prive l'Etat tunisien de 2000 millions de dinars (813 millions de dollars), la répression semble tout de même contre-productive, assure le consultant de la banque mondiale.


"Il est inutile d'arrêter un contrebandier et de le mettre en prison, il sera remplacé par dix autres", dit-il. L’ex douanier estime qu'il faut plutôt agir sur les facteurs qui sont à l’origine de la contrebande, à savoir les taxes. "Il faut diminuer la pression fiscale à l’importation ce qui reviendrait à rendre les produits importés légalement plus compétitifs avec les produits issus du marché parallèle qui échappent à la douane".

Le deuxième levier sur lequel l’expert du commerce transfrontalier appelle à agir, ce sont les obstacles à l’importation.

“Il faut rendre l’importation plus simple et faciliter l'obtention des homologations. Il faut enfin simplifier les démarches administratives et réduire les délais de dédouanement", conclut-il.

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