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Tunisie : Les blouses blanches se rebiffent

Esma Ben Said  | 19.02.2018 - Mıse À Jour : 21.02.2018
Tunisie : Les blouses blanches se rebiffent

Tunis

AA/Tunis/Slah Grichi

Le secteur de la santé publique en Tunisie est en crise.

Les problèmes couvaient depuis de longues années, bien avant le 14 janvier, date du départ de l'ex-président Ben Ali.

Entre les principes fondamentaux de la liberté de travail et l'exigence de pourvoir l'ensemble du pays et des citoyens du non moins fondamental droit à la santé et aux services y afférant, il y a des divergences de points de vue que les différents projets de loi et les diverses mesures n'ont pu réduire.

S'en sont suivis des mouvements de grève, des sit-in, des propositions et des contre-propositions.

Aujourd'hui et après des grèves des internes et résidents auxquelles les étudiants en médecine se sont joints, une grande marche est prévue, au terme de laquelle une entrevue entre l'association des jeunes médecins et le ministre de la Santé est attendue.

Ce dernier aura-t-il des idées de solutions à même de rapprocher, pour ne pas dire concilier, griefs et exigences dans le si sensible secteur de la santé publique?

- Le pourquoi de la fuite des blouses blanches

Ils sont des centaines et des centaines de jeunes médecins tunisiens à fuir le secteur public et même le pays, accueillis pratiquement à bras ouverts surtout en Allemagne, un pays en manque de praticiens, où il suffit d'une formation accélérée en langue et d'un test qui s'apparente davantage à un entretien qu'à un véritable examen ardu, pour se trouver engagé et commencer à exercer, bien entendu sous le contrôle -au départ- du chef du service où l'on est affecté.

C'est aussi simple que cela, une fois les tracas du visa terminés et le contact (virtuel ou direct) avec les établissements hospitaliers qui cherchent à étoffer leurs équipes, établi.

Chacun y trouve son compte. Le pays d'accueil s'enrichit de médecins prêts à l'emploi et dont la formation, qui ne lui a rien coûté, est des plus valables, grâce, particulièrement, à la période d'internat et d'externat (parfois de résidanat aussi, un vrai bonheur) où ils ont pratiqué la vraie médecine.

Les candidats à l'émigration trouvent des conditions financières et professionnelles nettement meilleures que celles qui prévalent en Tunisie.

Mais ce qui les tente le plus, c'est le système beaucoup plus souple de l'évolution de la formation et de la carrière, puisqu'ils peuvent se spécialiser dans une discipline en parallèle à son travail de médecin à part entière.

Et quand, de surcroît, ils évitent l'année de service civil (au lieu de l'obligatoire service militaire) où ils sont affectés dans les régions où, souvent les hôpitaux manquent de tout et pour un salaire de misère plus proche du minimum que du moyen (750 dinars, soit 250 euros), il y a de quoi être individuellement soulagé.

Une jeune médecin, récemment établie en Allemagne, anticipe les reproches qui peuvent être formulés quant à son choix : « Je sais que cela peut paraître ingrat de ne pas payer en retour son pays qui lui a dispensé des études coûteuses, mais les conditions de travail sont réellement affreuses, sans parler de la rétribution. Imagine-t-on un(e) jeune proche de la trentaine qui, au bout de sept ans d'études -s'il n'a pas redoublé, passé avec succès tous ses stages, préparé et soutenu sa thèse de Docteur en médecine pas au-delà de la fin de sa septième année, ce qui n'est pas courant-, perçoit 750 dinars. Peut-il vivre avec ? », s’interroge-t-elle.

« Et dire que l'on veut étendre ce "service civil" aux spécialistes qui seraient dans l'obligation d'exercer pendant trois ans en alternance dans des services hospitalo-universitaires et sanitaires dépendants du ministère qui décide des affectations… », poursuit-elle.

« D'ailleurs, dit-elle encore, j'ai connu, lors de mes stages, des médecins spécialistes faire de la médecine générale parce que sa spécialité n'existe pas dans l'hôpital où il a été désigné, faute d'équipements adéquats. Non, mais je rêve !".

C'est justement là l'esprit du projet de loi 30/2013 que la première Troïka avait voulu faire passer à l'Assemblée constituante.

Une idée qui n'a pas été totalement abandonnée, mais qui n'a aucune chance, pas plus hier qu'aujourd'hui, d'être adoptée par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), parce qu'elle est en flagrante contradiction avec le principe de la liberté de travail.

En tout cas, cela avait provoqué des réactions monstres de la part des médecins qui ont baptisé leur mouvement "Révolution du bistouri".

Il a fallu que l"UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) mette tout son poids pour désenclaver -momentanément- la situation, à travers la signature d'un accord plus ou moins globalisant avec le ministère de la Santé publique.

- Le revers de la médaille

Mais que faire face au manque de médecins dans les hôpitaux et les dispensaires de l'intérieur du pays, la désaffection des jeunes diplômés qui optent pour le privé ou pour l'étranger et, surtout la nette et révoltante disparité régionale en ce qui concerne les spécialistes qui sont, à titre indicatif, de l'ordre de 1 pour 1555 habitants à Tunis la capitale, pour 9391 au Kef (170 kilomètres au nord-ouest de Tunis) et pour 19 345 à Kasserine (320 kilomètres au centre ouest) ?

Le ministère de la Santé a pensé à une nouvelle réforme selon laquelle les candidats aux spécialités ne recevraient qu'un seul diplôme, au terme de leur cursus et après avoir effectué leur année de service civil.

En d'autres termes, exit le diplôme de Docteur en médecine que l'on obtient au bout des sept années communes et après soutenance de thèse.

La goutte qui s'ajouta aux précédentes et qui fit déborder le vase, amenant l'Association des jeunes médecins tunisiens à décréter février courant "le mois de la colère", avec une première grève de trois jours (du 6 au 8) des résidents et des internes, rejoints par les étudiants et soutenus par les seniors qui sont quasi unanimes à dénoncer un tel projet.

Le ministère doit chercher autre chose, d'autant que les revendications ont trait à la mise en œuvre de l'accord de février 2017 relatif au statut d'interne et de résident définissant leurs droits, leurs devoirs et leurs responsabilités, à l'application de l'augmentation convenue des salaires pendant le service social de 750 à 1250 dinars.

Plus globalisants, les jeunes médecins appellent à l'encouragement du recrutement volontaire -pas obligatoire- dans les zones manquant de médecins, comme préconisé par l'Organisation mondiale du travail (OMT), à la lutte contre la salubrité de nombreux établissements hospitaliers et à l'initiation d'une vaste réforme de la santé publique, à travers des commissions composées de représentants des différents acteurs du secteur.

Face à cette grogne et à une volonté de ne pas céder, particulièrement sur ce qui a été déjà convenu, le ministre de la Santé a-t-il des propositions à mettre, tout à l'heure, sur la table quand il recevra une délégation de l'Association des jeunes médecins. Arrivera-t-on à désamorcer une crise et à éviter une escalade dont souffriraient les plus démunis : car ceux qui ont ne serait-ce qu'un petit peu de moyens, ont depuis belle lurette déserté l'hôpital public ?

Croisons les doigts et espérons...

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